SENTIS Francis [DUBOUCHER, pseudonyme de Résistance]
Né le 8 mai 1923 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; mort le 31 octobre 2013 à Canet-en-Roussillon (Pyrénées-Orientales) ; militaire ; employé Ponts-et-Chaussées ; militant communiste; résistant (FTPF) ; secrétaire départemental de l’ANACR (1974-1984)


Francis est né dans le quartier Saint-Jacques de Perpignan. Il est le fils de François Sentis (né le 29 décembre 1898 à Elne, Pyrénées-Orientales), livreur au dépôt perpignanais des Eaux du Boulou) et de Marie Batlle, ouvrière aux usines de papier à cigarettes Bardou-Job de Perpignan. Ils achetèrent une parcelle de terrain au milieu des vignes, à proximité du Hameau de Saint-Gaudérique, où habitait la majeure partie de la famille Sentis. Pendant son temps libre, François y construisit un « casot », qui désigne en catalan l’appentis servant à protéger des intempéries les outils du jardin.
Lorsque Marie, la mère de Francis, décéda de phtisie, le 7 mai 1930, ce casot était devenu une véritable maison à force de travail. Les grands-parents paternels de Francis l’élevèrent et l’inscrivirentà l’école de Saint-Gaudérique.
François se remaria en 1931 avec Augustine Mille, marchande de volaille. À la naissance de leur fille, Jacqueline, François quitta son emploi pour travailler avec sa femme sur son étal au marché. Les faibles revenus familiaux l’obligèrent à se faire embaucher comme manutentionnaire et chauffeur chez un épicier en gros.
Francis pour sa part fut reçu au concours d’entrée à l’École primaire supérieure de Perpignan en 1936, et obtint son Brevet d’Enseignement Primaire supérieur en 1939. L’option choisie, Arts et Métiers, lui permettait de préparer le concours d’entrée à l’École Nationale des Arts et Métiers d’Aix-en- Provence. Tout en n’étant inscrit dans aucun parti politique François lisait l’Humanité ; Francis, quant à lui, rejoignit les Jeunesses communistes en 1938.
Son père mobilisé en 1939, Francis ne put continuer ses études et fut obligé de travailler. Il remplaça son père chez le grossiste en épicerie. Après la démobilisation de ce dernier en 1940, il continua de travailler à ses côtés. Les conditions de travail étaient très difficiles. Bien que cherchant un autre emploi, Francis resta dans la même entreprise jusqu’à ce qu’en septembre 1942 le patron exigeât plus de travail pour le même salaire ; la discussion s’envenima ; François intervint et décida que son fils et lui démissionnaient. Francis s’en alla faire les vendanges à Opoul (Pyrénées-Orientales), où il apprit par un camarade que les Ponts-et-Chaussées recrutaient un dessinateur. Après entretien, il fut admis comme dessinateur auxiliaire à compter du 1er octobre 1942. Mais, comme il continuait de militer aux JC, il dut quitter le département des PO, pour se mettre au « vert » en Aveyron.
En effet, en septembre1939, malgré son vote des crédits de guerre du 2 septembre, le Parti communiste avait été dissous et ses membres pourchassés pour avoir approuvé le pacte germanosoviétique. Francis tenta alors de rejoindre le parti clandestin qui se reconstituait et parvint à y adhérer en septembre 1940. Trois groupes de trois jeunes furent constitués ; Francis assurait la liaison entre les responsables de chaque groupe. Les tracts ou « papillons », tapés par Francine et Odette Sabaté, luiétaient remis par Jean Gispert pour être diffusés aux trois groupes. Jean Gispert était en contact avec le triangle régional clandestin du PCF et recevait tracts et journaux clandestins. Cette période fut celle où il fallut se préparer à assumer les dangers sans les surévaluer, ni les sous-évaluer. Ce fut aussi pendant cette période d’avant l’occupation de la zone sud par les Allemands que Georges Lamirand, secrétaire général à la Jeunesse, vint dans le département (en juin 1941) dans le cadre d’une tournée en Languedoc et en Roussillon. Le Parti communiste et la Jeunesse ouvrière chrétienne décidèrent de perturber l’assemblée des jeunes prévue au théâtre municipal. Le chahut organisé obligea Lamirandà battre en retraite, mais entraîna une sévère répression qui désorganisa l’organisation clandestine du Parti. Francis fut alors chargé de réorganiser les JC, puis à partir de mai 1942 de prendre en charge le Front patriotique de la jeunesse, organisation de jeunesse du Front national. En fait, il géra essentiellement les jeunes communistes de Perpignan, de Rivesaltes et des isolés. D’autres groupes indépendants existaient dans le département (autour de Charles Llobères* ou de Raoul Vignettes*). Le 21 juin 1942, les communistes seuls, puis le 14 juillet 1942, de façon unitaire cette fois des manifestations importantes se déroulèrent. Francis put, à cette occasion, utiliser une ronéo. La répression vichyste frappa de nouveau.
L’occupation de la zone sud amena le Parti à solliciter ses cadres pour constituer des groupes FTPF. Francis participa à ce travail, en relation avec son responsable inter-régional Ildefonse Hernandez*. Ce fut à la SNCF que l’essentiel du travail fut fait à cette époque avant et après l’occupation, ainsi Francis profita de son emploi chez le grossiste pour participer à certaines actions. Plus tard, en tant que dessinateur pour les Ponts-et-Chaussées, et travaillant à la préfecture, il pouvait recevoir des documents (plans de lieux sensibles) de sa camarade Francine Sabaté, employée de préfecture, pour les transmettre au responsable FTPF, Isidore Marty*. Par la suite, une grande part du travail des jeunes consista à lutter contre le Service du travail obligatoire. Écrire, taper, ronéoter des tracts, les diffuser au plus près des requis, retarder les trains nécessitait aussi d’avoir un lieu pour se cacher (maquis). Ce travail de distribution de tracts ou de retardement des trains était dangereux pour la sécurité des militants, ainsi en avril 1943, Francis fut convoqué à la Police judiciaire. Interrogé puis relâché, il décida de rejoindre une « planque » dans l’Aveyron, département qui échangeait ses résistants inquiétés avec les Pyrénées-Orientales. Il y continua de résister.
De retour dans les Pyrénées-Orientales, il fut convoqué aux Chantiers de jeunesse ; après en avoir informé le Parti, il rejoignit le regroupement VI, de Marvejols (Lozère) le 23 août 1943. Il y resta jusqu’à sa démobilisation du 14 janvier 1944. Craignant le Service du travail obligatoire, Francis rejoignit son père qui était embauché comme débardeur dans une scierie ; ceci lui permit d’être requis sur place et d’éviter ainsi le STO. Il reprit contact avec le PCF, puis aux FTPF, mais n’ayant aucune affectation FTPF en juin, il décida de rejoindre l’Aveyron et le maquis d’Ols (appelé aussi maquis Dominique-Vincetti*). Il appartenait à la 4201e compagnie FTPF et fut nommé, en juillet 1944, commissaire aux effectifs après les combats de Gelles (24 et 25 juillet 1944). Fin août 1944, suiteà l’assimilation des FTPF au sein des FFI, Francis fut promu adjudant.À ce titre, le 1er bataillon de l’Aveyron, restructuré à Rodez fut d’abord affecté à la demi-brigade du Tarn (5 septembre 1944). Parti de Rodez le lendemain avec la demi-brigade du Tarn, Francis fit partie du convoi ferroviaire amenant les FTPF de l’Aveyron vers le département du Cher pour participer, avec d’autres unités FFI, aux combats contre une colonne allemande qui tentait de se regrouper dans la vallée du Rhône. Composée de près de 20000 hommes (2 officiers généraux, 729 officiers, 3 876 sousofficiers
et 15 134 hommes de troupe), elle était dirigée par le major général Elster. Ces combats furent significatifs d’une part du mépris que les Étatsuniens avaient pour la Résistance, en les tenantà l’écart des pourparlers et de la reddition du général Elster, mais aussi du refus allemand de considérer les Résistants comme des soldats, mais plutôt comme des terroristes (alors que les éléments de sa colonne furent harcelés par les FFI qui profitaient des lieux propices aux embuscades). Les combats eurent lieu du 11 au 14 septembre, entre Fours (Nièvre) et Saulieu (Côte-d’Or).

Du 18 septembre au 16 octobre, il suivit une période de d’instruction militaire à Saint-Apollinaire (Côte-d’Or), près de Dijon. Le 16 octobre la demi-brigade du Tarn fut affectée à la 3e division d’infanterie algérienne et transférée à Vagney (Vosges). Les membres du 1er bataillon de l’Aveyron qui signèrent à ce moment là un engagement furent intégrés à la 1er armée française, 3e division d’infanterie algérienne, en tant que bataillon formant corps (reconnu unité combattante du 9 août 1944 à mai 1945). Ayant intégré d’abord, le 22 octobre, le 4e groupement de tabors marocains, Francis participa aux offensives permettant la libération de Gérardmer (novembre 1944). À cette occasion, Francis fut citéà l’ordre du jour du bataillon et il conduisit un détachement de la 4301e qui défila devant les généraux de Gaulle et de Lattre de Tassigny.
Le 29 novembre 1944, Francis intégra avec son unité le 1er groupement de tabors marocains dans le cadre d’un groupement tactique pour participer à « la bataille des cols et des crêtes », pendant laquelle les températures oscillaient entre moins 20° et moins 30°. Il fut proposé à une citation à l’occasion de la bataille du col de Bramont (3 et 4 décembre 1944). Après la chute de Colmar (9 février 1945), il obtint une permission. Malheureusement, à Collonges-au-
Mont-d’Or (Rhône), le train dérailla et Francis fut grièvement blessé. Hospitalisé à Lyon (hôpitalÉdouard-Herriot) pour y subir huit opérations, de février 1945 à février 1946, il rejoignit l’hôpital militaire de Toulouse pour y être opéré une dernière fois. À Toulouse, il milita dans l’Union des jeunesses républicaines de France (UJRF), organisation née de la fusion des Jeunesses communistes et de plusieurs organisations résistantes jeunes. Le 27 septembre 1946, il fut réformé et démobilisé. Ce qui ne l’empêcha pas d’être hospitalisé à plusieurs reprises pour des questions médicales liées à cet accident de train.
De retour à la vie civile, il fut réintégré aux Ponts-et-Chaussées comme dessinateur auxiliaire au 3eéchelon (en raison de ses services antérieurs et de ses services résistants et militaires). Il gravit leséchelons pour terminer adjoint administratif en 1972. Il fut admis à la retraite en janvier1983.

En 1947, il épousa Marcelle Farines, elle-même militante de l’UJRF ; ils eurent trois enfants, Georges, Henri et Brigitte. Militant des Amis des FTPF (affiliée à l’ARAC), puis de l’ANACR, lorsque cette association fut créée, il en fut secrétaire départemental, puis secrétaire du bureau départemental entre 1974 et 1984.À partir de 2004, il devint président du Comité d’honneur. Ses activités ne furent pas seulement liées à la Résistance, bien qu’il ait été résistant dans l’âme. Militant syndical à la CGT (dès 1947), élu à la commission exécutive de l’union départementale des Pyrénées-Orientales, militant du comité des retraités CGT de la DDE 66 (1983), membre de la commission exécutive de l’Union syndicale des Retraités CGT. Après la guerre, mais aussi après la scission d’avec FO, il fallut reconstruire une nouvelle organisation, tâche à laquelle il s’attela avec d’autant plus de vigueur que les auxiliaires étaient nombreux et peu syndiqués. Mais, il ne se contenta pas de travailler pour les auxiliaires, il lutta pour le renforcement de la CGT aux Ponts-et-Chaussées comme dans les Pyrénées-Orientales ou au niveau national. Mais ce fut surtout son militantisme communiste qu’il mit en avant. Il fut membre du comité fédéral dès 1947 ou 1948 et jusqu’au début des années 1970, et du bureau fédéral à partir du début des années 1950. Candidat à des élections municipales à Perpignan en 1959, 1965, 1966, 1977, 1983, 1989 et 2001. Enfin, malgré son âge et une santé délicate, en raison de sa blessure à la tête, il dirigea l’Amicale 66 des vétérans du PCF. Son principal passe-temps, avec ses collègues des Ponts-et-Chaussées ou sa famille, était la pêche.


SOURCES : Christian Font, Henri Moizet, Construire l’histoire de la Résistance. Aveyron 1944, Rodez, CDDP Rodez, CDIHP Aveyron, CRDP Midi-Pyrénées, 1997, p.344 p. [combats de Gelles, pp. 180-182] ; Maquis et combats en Aveyron. Chronologie 1936-1944, Rodez, ONAC Aveyron, ANACR Aveyron, CRDP Midi-Pyrénées, 2001 [pp. 319-320, combats de Gelles], 412 p. — Jean Larrieu et Ramon Gual, Vichy, l’Occupation nazie et la Résistance catalane, Tomes I, II A et II B, Prades, Éd. Terra Nostra, 1994, 1996 et 1998. — Georges Sentis, Francis Sentis, une vie au service du biencommun, tomes 1 et 2, Perpignan, Éditions Marxisme / Régions, 2013, 56 et 42 p. — François Testas,« Le 1er bataillon FTP de l’Aveyron (Bataillon Marc) devenu le III/151e RI » in André Souyris-Rolland (éd.), Les forces françaises de l’intérieur du Languedoc-Roussillon / région R3 dans l’arméede la Libération, Colloque de Montpellier du 14 mars 1996, Arcueil, Public-Réalisations, 1997, 256 p. [pp. 142-146]. — Daniel Virieux, « Forces unies patriotiques » in Dictionnaire historique de laRésistance, François Marcot (dir.), Paris, Robert Laffont, 2006, pp. 186, — Nombreuses conversations avec Francis Sentis et son fils Georges. — Note d’André Balent.


Pierre CHEVALIER